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Appel à contributions - Communs numériques : une nouvelle forme d'action collective?

Appel à contributions en vue d'un dossier relatif aux communs numériques publié à la revue Terminal

du 21 février 2020 au 30 juin 2020

Envoi des résumés (optionnel) avant le 15 avril 2020
Envoi des propositions d'articles (obligatoire) avant le 30/06/2020

Présentation du dossier


Depuis une dizaine d’années, plus précisément depuis l’attribution du Nobel d’économie à Elinor Ostrom en 2009, la notion de communs a donné naissance à une littérature en croissance rapide et a mobilisé l’attention de catégories sans cesse élargies de la population, chercheurs et enseignants, militants associatifs et politiques, grand public et même entrepreneurs et milieux d’affaires. Avec cet engouement naissant et l’élargissement de son champ d’application, un flou conceptuel est parfois venu polluer la notion. Partant du domaine de la gouvernance des ressources foncières et naturelles qui l’a vu naître, une première extension du cadre conceptuel a été explorée en direction des communs de la connaissance. Elinor Ostrom qui avait consacré la majeure partie de ses travaux à ce cadre initial a elle-même commencé à contribuer, au cours des années 2000, à cette extension. Mais la mobilisation du concept est allée depuis bien plus loin, jetant parfois un certain trouble sur son bien-fondé. Pour ce qui nous concerne ici, la notion de communs numériques, si elle est largement répandue, nécessite d’être analysée et clarifiée. C’est l’objet de ce nouveau dossier de Terminal.

Le phénomène des communs s’inscrit dans une histoire déjà longue. On rappelle volontiers celle des prés communaux, plus particulièrement dans les Midlands au Moyen-Age au Royaume-Uni et leur démantèlement par le mouvement dit des enclosures et l’appropriation privative des terres, terminologie reprise par James Boyle (2003) pour décrire l’extension du champ de la propriété intellectuelle et l’enclosure du domaine public. Dans un entendement plus large, comme celui de la connaissance, des exemples fameux jalonnent aussi l’histoire comme celui relaté par Robert C. Allen (1983) du partage de la connaissance pour l’amélioration de la productivité des fours, dans l’industrie sidérurgique de la région de Cleveland, en Angleterre au 19ème siècle.

Pourtant, hormis les historiens, les chercheurs se sont peu intéressés à ces questions jusqu’à la publication en 1968 dans la revue Nature, par le biologiste américain Garrett Hardin, d’un article intitulé « La Tragédie des communs ». Celui-ci dénonçait la menace de dégradation que le libre accès fait peser sur une ressource, comme un pâturage commun ou toute autre ressource dont la surexploitation sape la durabilité. Les travaux d’Ostrom ont apporté une réponse aux arguments de Hardin, sur le plan empirique comme sur le plan conceptuel en faisant la distinction entre libre accès et propriété commune, mettant ainsi en avant le rôle essentiel des règles et de la gouvernance dans la gestion de la ressource partagée. En ce sens, les critères de rivalité (la consommation du bien par un individu impacte négativement celle par un autre individu) et d’exclusion (concernant la question de l’accès à la ressource) prennent une tout autre dimension dans la mesure où règles et gouvernance ont précisément pour objet de concilier usage et préservation de la ressource.

Aujourd’hui, alors que le concept de communs est évoqué et revendiqué de plus en plus largement, la tendance est à y inclure abusivement un ensemble sans doute trop large d’activités, en entretenant le plus souvent la confusion avec ce qui relève de l’économie dite collaborative ou participative. De tels excès sont particulièrement notables dans le domaine des plateformes numériques, dans lequel le développement du web 2.0 a estompé les frontières entre production et utilisation des ressources, masquant bien souvent les stratégies de prédation sur lesquels de grands opérateurs fondent leurs modèles d’affaire tout en mettant en avant la dimension collaborative et de partage des ressources facilitées par leurs plateformes. Ainsi, l’économie dite du partage développée par Uber, Deliveroo ou AirBnb ne relève clairement pas du modèle de gouvernance des communs.

Dans l’esprit des travaux de Ostrom, Benjamin Coriat (2015) contribue à définir et fonder une théorie des communs au carrefour de trois assertions : une ressource partagée, un système de répartition de droits et obligations, une structure de gouvernance « veillant au respect des droits et obligations de chacun des participants au commun ».

L’hypothèse des « communs numériques » fait référence à une catégorie de biens ou de ressources qui diffèrent fondamentalement de la catégorie séminale des communs naturels ou fonciers, ne serait-ce que par le fait qu’ils se rapportent à des ressources immatérielles, intangibles à l’égard desquelles les classifications originelles des communs ne s’appliquent que peu ou mal. Dans ce sens les « communs numériques » relèveraient d’une proximité avec les communs de la connaissance abordés par Elinor Ostrom, avec Charlotte Hess, à la fin de sa carrière, voire ne seraient qu’un sous-ensemble de ces derniers, caractérisé par une existence et une mise en œuvre indissociable des technologies numériques et une absence des caractéristiques économiques de rareté et d’épuisement propres aux ressources tangibles.

S’agissant de la connaissance, la ressource sous sa forme informationnelle ou numérique apparaît de plus comme non-rivale et non ou faiblement exclusive. Il existe toutefois des technologies qui permettent de réserver l’accès à la ressource à un cercle d’usagers habilités. Le chiffrement en est une. Sur le plan de la gouvernance, des dispositifs d’application de la propriété intellectuelle (droit d’auteur, brevets, droits des marques, des bases de données, etc.), peuvent être mobilisés pour organiser l’exclusivité du support, donnant ainsi naissance à de nouvelles formes d’enclosure (Boyle, 2003).

La préservation de la ressource commune passe par conséquent par sa protection contre toute appropriation privée abusive. En outre, alors que la connaissance ne se dégrade pas au sens propre du terme, elle passe aussi par le nécessaire enrichissement de la ressource, dans la mesure où un corpus de connaissances qui se fige perd inéluctablement de son utilité, de sa capacité à répondre aux besoins de toute nature qui sont sa raison d’être. Elle suppose aussi un travail éditorial (curation) afin qu’elle soit localisable et identifiable, et une protection contre la pollution.

Or, selon la définition proposée par Ostrom, la ressource autour de laquelle se construit un commun est rivale et sa gestion est assurée par un groupe défini qui profite de sa consommation et assure sa pérennité.

Pourtant, une ressource informationnelle est de nature non-rivale et non-exclusive. Elle profite par nature à une population plus large que le groupe d’individus qui la produit et la gère. La gouvernance d’un tel commun doit donc comprendre une dimension interne et une dimension externe. La dimension interne régit le fonctionnement du groupe des producteurs qui fait vivre la ressource, l’améliore et l’enrichit, tandis que la dimension externe régente les conditions dans lesquelles les utilisateurs peuvent faire usage de la ressource. Elle a notamment pour fonction de protéger la ressource contre les appropriations abusives et favoriser sa générativité, sa prospérité et sa descendance par la production d’œuvres dérivées qui resteront dans le commun.

Selon les auteurs et les interprétations, il y a deux façons de comprendre un tel élargissement de la notion de commun et de son cadre de gouvernance. Elles sont relatives au niveau auquel on situe le commun :

  1. La première interprétation (Mindel et al, 2018) consiste à se dégager de l’hypothèse de rivalité et d’exclusion, pour considérer que le commun se situe au niveau de la ressource informationnelle elle-même et inclut donc un cercle non fermé d’utilisateurs pour lesquels l’usage de la ressource est assorti de certaines conditions, qui sont notamment fixées par les licences ;

  2. La seconde interprétation (Jullien, Roudaut 2020) consiste à situer le commun au niveau de l’organisation qui gère et enrichit la ressource informationnelle (le flux de connaissance). Celle-ci est elle même une ressource, rivale et non-exclusive. Quant aux connaissance rendues disponibles (le stock de connaissance), elles restent un bien public classique, à propos duquel se pose aussi la question du caractère pérenne de sa disponibilité, par nature fragile.

Toutefois la question des communs ne se pose que lorsqu’il y a une possibilité de réservation, c’est-à-dire dès lors que surgit un conflit ou un retranchement potentiel, ou encore lorsque la gouvernance de la ressource commune peine à assurer son renouvellement. Pour prendre l’exemple des données qui ne font pas l’objet de réservation au sens de droits exclusifs, la question qui se pose est leur accessibilité et leur circulation, dès lors qu’elles forment un ensemble qui peut être valorisé économiquement.

Arrive alors la question de la spécificité des communs numériques. Ne sont-ils que la version numérique de communs de la connaissance ? Est-ce que le numérique n’est qu’un outil qui permet de donner leur envol à des communs qui peineraient à être produits et diffusés autrement ou simplement donnerait un coup d’accélérateur à un commun pré-existant? Ou bien, est-ce que le numérique donne naissance à des communs spécifiques, indissociablement liés à leur nature numérique ?

La réponse n’est évidemment pas triviale. Il est possible qu’elle soit dans les deux termes, mais le débat mérite d’être soulevé. C’est ce que nous proposons d’initier dans ce numéro spécial. Aligné avec l’orientation pluri-disciplinaire de Terminal, nous attendons des propositions issues de toutes les disciplines des sciences humaines et sociales, y compris le droit


Thèmes (indicatifs et non limitatifs)


Contributions au cadre conceptuel des communs numériques et de la connaissance

Plateformes numériques et biens communs vs plateformes de l’économie du partage

Biens communs numériques vs droit d’auteur : la notion de communs numériques est-elle antagonique à celle de droit d’auteur ?

Biens communs numériques vs régime des données :
  • Les données deviennent la richesse première dans l’économie numérique. Tous les régimes juridiques visent à en faciliter l’accès et la circulation. Les biens communs numériques sont-ils assimilables aux données ? Les données doivent-elle être une richesse commune ? Quel retour dans le commun ?
  • Les données servent à entraîner des machines (‘apprentissage automatique, intelligence artificielle’). Quelles sont les conditions d’accès et de réutilisation des données ? comment sont elles contrôlées (qui vérifie leur “loyauté”, comment peut-on demander des comptes à ces machines, et les développer ou les alimenter dans le cadre d’un commun ?


Calendrier prévisionnel du numéro spécial


L’article doit suivre les consignes aux auteurs.
 

Editeurs du dossier


  • Mélanie Clément-Fontaine, DANTE, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
  • Mélanie Dulong de Rosnay, Centre Internet et Société, CNRS
  • Nicolas Jullien, LEGO-Marsouin, IMT Atlantique
  • Jean-Benoît Zimmermann, CNRS-GREQAM, Université Aix-Marseille