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Compte-rendu de la journée d'études "Arbitrage et communautés locales"

Objectifs


Les activités des opérateurs économiques génèrent des externalités négatives, en matière de droits humains ou en matière environnementale. Des contentieux emblématiques, comme les affaires Chevron/Ecuador ou Shell/Nigeria, révèlent que les communautés locales, ici entendues comme les groupes humains établis dans les zones où opèrent les entreprises multinationales, sont les premières victimes directes de ces externalités. Ces mêmes contentieux mettent en évidence les limites, tant dans leur dimension compensatrice que dans leur dimension sanctionnatrice, des modes étatiques de règlement des litiges, qu’ils soient nationaux ou supranationaux.

Dans le même temps, les activités économiques sont un facteur essentiel de développement local, du moins lorsqu’elles conduisent à un partage raisonnable des bénéfices, lequel peut être également source de contentieux entre communautés locales et opérateurs économiques. La volonté croissante de conférer une effectivité véritable aux droits des communautés locales, en ce compris les peuples autochtones, conduit à multiplier les interactions entre ces communautés et les opérateurs, les premières devenant parfois un interlocuteur obligé des seconds.

La question du rôle que peut jouer l’arbitrage international, mode traditionnel de règlement des différends entre opérateurs économiques, privés ou publics, dans l’appréhension de ces problématiques relatives aux droits des communautés locales doit dès lors se poser. Or cette question soulève de très délicats problèmes juridiques, dans la mesure où la contractualisation formelle entre les opérateurs économiques et les communautés locales est rare. Comment assurer, dès lors, la pénétration des intérêts des communautés locales dans le champ de l’arbitrage ? Processuellement, les communautés peuvent-elles être parties à l’arbitrage et/ou leurs intérêts peuvent-ils trouver un véhicule pour s’immiscer dans une procédure à laquelle elles sont tiers ? Substantiellement, lorsqu’elles ne sont pas parties à l’arbitrage (ce qui correspond à la situation dominante actuelle), leurs intérêts peuvent-ils être pris en compte dans le raisonnement de l’arbitre, voire dans sa sentence ?

Cette journée d’étude, sous la direction scientifique des professeurs Sandrine Clavel et Patrick Jacob, a été l'occasion de réfléchir aux réponses pouvant être apportées à ces questions, tant en matière d’arbitrage d’investissement, où ces enjeux sont connus sans toutefois recevoir de réponse totalement univoque, qu’en matière d’arbitrage commercial international, où le sujet de l’intérêt des tiers n’est à ce jour pas véritablement théorisé. Deux tables-rondes ont permis d’envisager  : 1) la situation dans laquelle les communautés locales restent des tiers à l’arbitrage international, pour identifier les outils processuels et substantiels permettant la pénétration de leurs intérêts dans la sphère arbitrale ; 2) les voies d’un possible accès de ces communautés locales à l’arbitrage en qualité de parties, dans un contexte de déficit de contractualisation formelle avec les opérateurs économiques.

 

Table-ronde 1 : La prise en considération des communautés locales dans l’arbitrage international

Modérée par le professeur Patrick Jacob, la matinée a permis d'explorer, sous l'angle tant processuel que substantiel, les possibles fondements juridiques d'une prise en considération des communautés locales dans l'arbitrage international, tant d'investissement que commercial. 
  • Sur les aspects processuels, le professeur Maximin de Fontmichel a analysé les outils permettant aux tiers d’intervenir dans/ participer à la procédure d’arbitrage. Si la voie de l'intervention apparaît de prime abord fermée, des arguments relatifs à la sécurité de la sentence pourraient justifier des évolutions. De la même façon, la tierce opposition des communautés locales à une sentence qui lèserait leurs intérêts est a priori interdite par le droit français de l'arbitrage; mais cette interdiction pourrait-elle résister à lecture à la lumière des droits fondamentaux? La simple participation à l'instance, par le biais de l'expertise, des témoignages ou de la figure de l'amicus curiae, pose moins de difficultés mais elle offre de moindres satisfactions. Monsieur Walid Ben Hamida a quant à lui abordé la transparence dans les arbitrages extractifs. Partant du constat de l'existence d'une obligation de transparence des contrats extractifs dans un nombre relativement important de pays en développement, il s'est interrogé sur les conséquences de cette obligation en termes de transparence des arbitrages relatifs à ces contrats. Car si la transparence des arbitrages est souvent légalement organisée en matière d'investissement, ce n'est pas le cas en commercial international: il faut alors se demander si la transparence imposée des contrats extractifs n'induit pas une transparence nécessaire des arbitrages relatifs à ces contrats... ce qui n'est pas sans poser de difficulté si une clause prévoit la confidentialité de l'arbitrage.
  • Sur les aspects substantiels, Madame Marie Nioche s'est interrogée sur l'incidence de la montée des obligations de vigilance sur l’arbitrage commercial international. Elle s'est attachée à démontrer que l'extension progressive des obligations de vigilance des entreprises et le rôle central joué par le contrat à cet égard ne pouvaient que conduire les tribunaux arbitraux, juges des contrats internationaux, à accorder une attention croissante aux communautés locales. Elle s'est également interrogée sur la légitimité des tribunaux arbitraux à traiter de ces sujets, ainsi que sur l'adaptation de leur mode de fonctionnement et de leurs pouvoirs à l'appréhension de ces sujets nouveaux. Maître Isabelle Michou a pour sa part examiné en détail la sentence Spentex Netherlands, B.V. v. Republic of Uzbekistan (ICSID Case No. ARB/13/26), pour livrer d'intéressantes réflexions sur la créativité des arbitres lorsqu'ils entendent Prendre en compte les intérêts des tiers dans le choix de la sanction de faits de corruption, et sur la possible transposition de telles solutions aux communautés locales. Elle a confronté ces perspectives aux obligations qui pèsent sur les arbitres et au périmètre de leur mission.
De riches débats, menés par les professeurs Laurence Dubin et Jean-Baptiste Racine, ont ensuite eu lieu entre les participants.

Table-ronde 2 : L’accès des communautés locales à l’arbitrage international

Modérée par la professeure Sandrine Clavel, l'après-midi a permis d’échanger sur des sujets plus prospectifs, en questionnant la participation des communautés locales à l’arbitrage international en tant que parties. Les raisons pouvant conduire les communautés locales et les opérateurs du commerce international à privilégier l’arbitrage international comme forum de règlement de leurs différends ont été abordées, de même qu'un certain nombre de points épineux tels que la délimitation ou le représentation des communautés locales parties à une procédure juridictionnelle, mais ce sont surtout les modalités juridiques d’accès de ces communautés à la procédure arbitrale, alors que le pouvoir juridictionnel des arbitres trouve sa source dans l’expression d’une volonté commune des parties, qui ont été approfondies, avant que ne soient envisagées les adaptations que la participation des communautés locales aux procédures arbitrales pourrait appeler.
  • Sur l'accès des communautés locales à l'arbitrage, Monsieur Achille Ngwanza, retenu à l'étranger et intervenant à distance, a examiné les perspectives dans le cadre des accords de développement communautaires. Il a défendu l'idée que ces accords, qui ne contiennent usuellement pas de véritable clause de règlement contentieux des différends, pourraient néanmoins ouvrir l'accès à l'arbitrage en ce qu'ils sont accessoires à un contrat d'exploitation minier comportant presque systématiquement une convention d'arbitrage. La justification de cette extension pourrait être trouvée dans l'implication des communautés locales dans l'exécution du contrat minier principal. La professeure Sandrine Clavel a prolongé ces réflexions sur le terrain du droit privé, en examinant le mécanisme de la Stipulation pour autrui ou encore le “Third Party Beneficiary Principle" pour observer que des obstacles à l'extension de la clause d'arbitrage  subsistent, quand bien même il serait admis que le contrat minier principal emporte création de droits substantiels au profit de la communauté locale tierce au contrat.
  • Sur l'adaptation des procédures arbitrales aux besoins particuliers des communautés locales, Maître William Brillat-Capello a analysé les apports du Règlement de la Haye sur l’arbitrage relatif aux entreprises et aux droits humains. Il a mis en exergue toutes les spécificités que ce règlement intègre, et qui rendent la procédure d'arbitrage particulièrement "accessible" à une partie pourtant peu rompue à ce type de contentieux comme peuvent l'être les communautés locales. Il a aussi mis en évidence des limites et surtout l'absence de mise en pratique, à l'heure actuelle, de ce règlement.
Là encore, l'ensemble des questions a donné lieu à des discussions très fournies entre les participants, sous l'impulsion des professeurs Jean-Baptiste Racine et Laurence Dubin
Informations complémentaires
Les actes de cette journée seront publiés à l'automne 2023